Un accident de scooter au Vietnam

Mobylette et rouleau de printemps

Les mains pleines de mon propre sang, je m’agrippe aux épaules d’une inconnue pendant qu’une autre me tient par la taille en me répétant avec un fort accent : « it’s ok, it’s ok ».  Assise entre 2 Vietnamiennes, sur une mobylette filant à vive allure, je me répète sans arrêt qu’il s’agit d’un cauchemar et que je vais me réveiller.  Atteinte de vertiges, je combats la tentation de perdre connaissance et de m’affaler sur la chaussée rouge. Je regarde la route derrière nous en espérant apercevoir mon ami à notre poursuite, mais je ne vois que le nuage de poussière soulevé par notre passage. Je me sens seule et très loin de chez moi. Je suis à 13 820 km de Montréal, à Phu Quoc, une ile paradisiaque mais précaire, au Viet Nam. Je viens d’avoir un accident de scooter. Nous sommes le 23 janvier 2012 — Nouvel An chinois — l’année mouvementée du dragon commence sur les chapeaux de roues.

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La journée était ensoleillée et parfaite pour découvrir cette ile quasi déserte et encerclée de plages. À cheval sur un scooter qui s’apparente davantage à un Bixi à gaz, je me demande si ce bolide est adapté aux conditions de conduite locale… sketchVietnam style.

 

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Derrière le conducteur, cheveux au vent et une robe maxi remontée aux genoux, je profite du paysage et du dépaysement. Mon casque, ou plutôt le bol en métal que j’ai sur la tête glisse constamment sur ma nuque. Je tente de l’ajuster, mais la courroie se déchire et je dois me résoudre à nouer les 2 bouts restants sous mon menton. Vietnam style.

À peine quelques minutes plus tard, la roue avant se coince dans un trou sur la route terreuse, la mobylette bascule et je suis éjectée comme une toast du grille-pain.

Je me souviens parfaitement du premier impact; un coup violent et sec, mais curieusement indolore. C’est mon genou qui se fracasse en premier contre le sol à une vitesse d’environ 50km/h. Je me sens décoller du banc et je fais plusieurs tonneaux sur la chaussée rocailleuse. Je vois en alternance : ciel bleu et garnottes rougeâtres. Chaque caillou me larde le corps. Je termine ma course allongée de tout mon long sur le bas côté, consciente, mais paralysée par le choc. L’oreille contre la poussière, mes lunettes soleil brisées ont atterri devant moi et me regardent.

L’adrénaline inhibe mes douleurs, si bien que je ne réalise pas l’ampleur des dégâts. Mon visage me brule et mon œil gauche gonfle. Rapidement, il se retrouve bridé par l’enflure et je n’y vois rien. De l’autre œil, je me fais un auto-check-up-corporel :

–       Bon… plusieurs scratches importantes aux 2 bras, mais rien ne laisse présager de fracture… à part de ça… Catastrophe ! Ma robe est déchirée ! … mais bon, je sens mes jambes… parlant de mes jambes, voyons voir…

Je ne peux retenir le cri d’horreur. Même mon œil temporairement chinois s’écartille. Sous la rotule, une large coupure en forme de « c » a rabattu une tranche épaisse de peau. L’ouverture de la taille d’un citron me permet de faire connaissance avec un muscle dont j’ignore le nom et une partie de mon tibia. EN-CHAN-TÉE !

Mes oreilles sillent. Mon cœur veut sortir de ma poitrine. Visiblement, la situation est plus grave qu’à l’examen préliminaire : Poussières, cochonneries et bactéries inconnues de mon système immunitaire d’Occidentale Purelisé = risque d’infection. Pas besoin d’un doctorat pour comprendre que ça augure mal… Manifestement, les 2-3 Band-Aids dans ma sacoche ne seront pas suffisants.

Un scooter croisé tout juste avant la collision fait demi-tour. Les 3 jeunes Vietnamiens à bord ont été témoins de l’évènement et nous portent secours. Les 2 filles s’affolent à la vue de la blessure et le garçon me cède sa place sur leur mobylette. L’adrénaline et la panique m’aident à me lever sans douleur. J’enfourche la moto entre les 2 Vietnamiennes alarmées. Leurs paroles vietnamiennes bourdonnent dans ma tête. Je demande à retourner à mon l’hôtel pour récupérer mes bagages. Je considère prendre un avion pour obtenir de meilleurs traitements dans la capitale. Le choc m’empêche de réfléchir intelligemment : des soins IMMÉDIATS sont nécessaires, même s’ils sont «Vietnam style ».

Nous démarrons en trombe. Je vois mon ami et le Vietnamien sur les lieux de l’accident disparaître. Je pleurniche comme une gamine vulnérable. Le transport vers l’hôpital me paraitra une éternité, croisant des paysages de toutes sortes et des villageois qui me dévisagent avec effroi. À l’arrivée devant cet hôpital douteux, l’angoisse monte d’un cran.

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À l’entrée, on m’attend avec la table roulante en métal servant de civière. Je suis paniquée à l’idée de m’étendre sur cette plaque froide et humide de je ne sais quel liquide. Je constate rapidement que je n’ai d’autre choix que d’y grimper et m’y asseoir en boule à contrecoeur.  Avançant dans les couloirs à aire ouverte sur la jungle, je sanglote en auscultant mon gros bobo.

Mon ami me rejoint quelques minutes plus tard au milieu de l’effervescence du personnel hospitalier et des curieux. En quelques signes, un infirmier nous réclame de l’argent. Puis, on me déplace dans une salle de rayons X. L’équipement a, sans aucun doute, déjà servi de décor dans un épisode de Mad Men. Le technicien, cigarette au bec, aligne l’appareil au-dessus de mon genou. La cendre de sa clope courbe dangereusement au-dessus de ma plaie qui ressemble bizarrement à un cendrier. Vietnam style.

Protéger mes ovaires avec un tablier de plomb ?

Faire sortir tout le monde avant de radier la salle ?

Bah… what ever !

Rayons corrosifs à volonté pour tous : les curieux, le personnel et le chat errant qui vient de traverser le couloir, tout le monde y passe. Vietnam style.

On me rapatrie dans une pièce vide et froide qui me rappelle une cellule d’un asile des années 60. Les ressources sont tellement limitées, qu’il n’y aucun matériel pour me soigner ici même. Il faut s’approvisionner à mesure à la « pharmacie » située en face de l’établissement. L’infirmier empoigne le bras de mon ami pour le trainer jusqu’au shack faisant figure de pharmacie afin qu’il paye pour des bandages et du peroxyde.

Malgré la précarité des installations, les instruments sont neufs, emballés et propres. Le médecin nettoie profondément ma blessure en rentrant 4 doigts sous la peau. On appelle ça jouer dans l’bobo! Après avoir vidé plusieurs bouteilles de peroxyde et il me reprise le genou d’une dizaine de points de suture. La douleur est forte, je suis à peine anesthésiée et je me cramponne aux barreaux rouillés d’une fenêtre sous-jacente à ma « civière ». Pour finir, on me badigeonne de l’iode sur les éraflures, comme un poulet. Ça chauffe ! Je n’en peux plus. Je veux ma maman. On me déplace ensuite dans un dortoir aux matelas sans draps. Un patient en pyjama recroquevillé sur son lit toussote un peu de mucus. EN-CHAN-TÉE !

Les festivités du Nouvel An occasionnent des congestions majeures dans le transport aérien. Nous restons donc coincés sur l’ile, dans notre hôtel, pour 5 jours. Un médecin se présente chaque jour à ma chambre avec son sac en cuir médical. Il examine la plaie et la désinfecte, en prenant bien soin de protéger les draps avec du papier journal. Vietnam style.

Heureusement, je réussis à communiquer avec un couple d’infirmiers français touristes rencontrés 2 semaines auparavant dans la Baie d’Halong. J’avais le souvenir qu’ils devaient aussi se rendre à Phu Quoc environ en même temps que nous. Coup de chance, ils sont arrivés sur l’ile le jour même et ils acceptent de venir m’examiner. Gregory et Laurie, me rassurent : la cicatrice n’est pas une œuvre d’art, mais il n’y a pas d’infection. Compte tenu des circonstances, on peut conclure que c’est du bon boulot.

Ma jambe ne plie plus et telle une vraie toutounes, je ne vois plus ma rotule. La douleur est atroce et mes antidouleurs se restreignent à des Advil et des shots de rhum. Vietnam style.

(Je vous épargne la photo de mon genou)

Je ne peux pas marcher. Je me déplace en fauteuil roulant, fourni par l’hôtel, dans une chambre aucunement adaptée. Au bout de 4 jours, j’atteins la plage en fauteuil pour prendre un peu l’air.

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Greg et Laurie parcourent le village pour me dégoter des béquilles. Rien. Ni à la « pharmacie », ni à « l’hôpital ». De bouche à oreille, mon histoire fait le tour du patelin. Un restaurateur d’origine française compatit et me donne une vieille béquille trainant dans son garage – un souvenir d’une ancienne blessure de moto. Il me faudrait vraiment 2 béquilles, mais une c’est mieux que rien. Vietnam style.

Au bout de 5 jours, je trouve le courage d’entreprendre un vol d’une heure pour me rendre dans la capitale Ho Chi Minh. L’avion est minuscule. Je dois passer 60 minutes assise sur l’accoudoir de mon siège avec la jambe tendue dans le couloir.

Incapable de rentrer immédiatement à Montréal vu les 24 heures de vol étalées sur 36 heures, je resterai encore 9 jours dans la capitale. Angoissée de rester enfermée dans la chambre toute la journée, je m’obstine à faire quelques visites en taxi et cyclo-pousse.

 

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Je me pends à ma béquille qui peine à me supporter.  Je fais la dure à cuire, mais je vois des étoiles. Sur mon passage, les têtes se retournent. Touristes et locaux me questionnent d’un regard troublé. Pendant plus d’une semaine, j’entendrai sans cesse les Vietnamiens déconcertés murmurer en secouant la tête : « t-t-t-t-t … hoooooon…motobike… t-t-t-t-t.» Évidemment, tout un chacun me conseilleront un traitement ou feront les éloges de leur médecin prétendument best doctor in town. D’autres me feront paniquer en m’avertissant que l’amputation est imminente ou exécuteront une cure chamane improvisée sur le trottoir. Tout ce qu’il y a de plus divertissant, mais tout de même inquiétant.

Le 5 février, j’ai plié bagage. Un long voyage pénible de retour pour rentrer dans ma tanière et lécher mes plaies. Une fois à Montréal, je n’étais pas au bout de mes peines, mais c’est dans ces moments difficiles qu’on reconnaît nos vrais amis.

Est-ce que je remettrai les pieds au Vietnam ? Oui, avec plaisir.

Est-ce que j’oserai à nouveau embarquer sur un scooter ? Oui, avec une prudence accrue.

Ce que je retiens de cette péripétie, c’est que malgré les frictions internationales, les différences de cultures et de valeurs, il y a encore de l’humanité sur cette planète. Je me souviendrais toujours de la scène où, encore couchée sur ma « civière » à l’hôpital, j’ai pu transmettre ma gratitude à une de mes « ambulancières ». Je lui ai pris la main et j’ai murmuré : « Thank you ». Je ne sais pas si elle a compris les mots, mais un échange de regards francs et humides est un langage universel pour : « Merci » et « Y’a pas de quoi. »

Malgré l’aspect brouillon du Vietnam que j’expose avec humour, il n’en demeure pas moins que ce peuple, bien conscient du chemin qu’ils ont à faire, tente – tant bien que mal – de se relever des nombreux sévices qui ont affaibli leur pays.

J’ai tout de même eu beaucoup de chance dans ma malchance. Comme on dit, ce qui ne nous tue pas nous rend plus forts. Et puis finalement, il me restera une cicatrice qui me permettra de faire ma bad ass et dire : « Ah ça ?! … c’est le Vietnam »

Crédits photos: Marie-Hélène Brault

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